Chronique du Carnaval – Épisode 6 –

“Épisode des Cendres”

Tjè-Nou Blendé, c’est le fruit d’un cheminement. Ce dernier qui ne s’arrête pas, il est perpétuel et continuel. Des rites s’ouvrent et se referment pour en ouvrir d’autres. C’est ainsi. Bèl pasaj, bèl pa saj, voilà la chose qui donne forme à la cause de notre sentiment d’humanité qui en est le fond. Comprendre et apprendre ce qui vit en nous… et alentour nous… par le Lyannaj…

C’est le dernier jour. Le quatrième jour de festivité. Le jour des cendres. Sa majesté Vaval est décédé. Tous nous avons entendu son Avis d’Obsèques Vaval 2017*.

Et tous, nous sommes descendus. Pas de précipitation, tout le monde ou presque, sait ce qu’il a prévu de faire. C’est un jour qui ne se rate pas. C’est le quatrième jour, tout est rodé, tout est l’huilé, “woulé, sé woulé mwen ka woulé, tout kò-mwen ka fè-mwen mal, mwen pé pa woulé ankò.”

Nous nous reconnaissons sans pouvoir nous nommer. Nous arrivons toujours du même endroit. Y reconnaissons les mêmes personnes, qui nous reconnaissent à leur tour. Nous faisons cette trajectoire, déjà prise maintes et maintes fois. À chaque fois, nous arrivons en quête du même groupe, celui vu comme notre valeur sûre, pour le vidé final. Cela en devient rituel. Chacun sait. Chacun fait.

Les rêves drivent et nous emportent.

Danser dans la rue. Chanter dans la rue. Rencontrer dans la rue. Aimer la rue. Vivre la rue. Sa majesté Vaval brûlera en cendres, et Tanbou vibrera en corps parmi nous. Tanbou ne meurt pas.
Dis moi ? Où, as-tu vu, entendu, senti et ressenti tous les présents parlant leurs phrases toutes en même temps, et cela prend sens? Un tel sens que nous marchons non seulement dans le même sens, aussi dans la même direction. Elle est invisible, confiance, écoute, regarde, vois, sens, renssens et vis.

Alors, n’entends-tu pas lorsque toutes les voix Tanbou, nonm, fanm, ti-manmay, les cuivres, trompettes, trombones, tuba, konk, les clôches, ti-bwa, chacha, Klaxon pump; que toutes ces voix en harmonie déboulent en corps dans le vidé. Au chant de la mémoire nous voilà en traversé de l’actuel. Dans notre nécessité d’être un Corps-Ensemble.

Owé, Owé, Owé annjélina joli bato, annjélina joli bato, bèl bato-a ki dan la rad-la, annjélina ranpòté la Viktwa.

Une énergie qui s’empare du tout-le-monde, là, dans la rue, toute une symbolique poétique de notre histoire est là. Je suis avec Tanbou Bokannal. Je rencontre Tjéri dans l’arène de l’envil. Il est avec le Groupe A. Une tentation me vient. Puisqu’il m’informe qu’aujourd’hui, le Groupe sortira sa chanson final, l’Upèwkut, intitulé: “Kout Tété-A”.

Finalement, je ne resterai pas. Par moment, il faut savoir suivre sa voix. Aller là où, nous mènent nos intentions premières. Je dois rejoindre Tanbou Bokannal. Je traverse la ville en diagonale. Je suppose qu’ils sont déjà partis du local à Rive-Droite. Aller là où, mon coeur est déjà.

En effet, je les rejoins peu après qu’ils soient partis. J’y vois mon Père et les autres. Et, je suis heureux. Nous allons le faire. Nous remontons devant la Poste, l’Impé, la savane est blindée mais calme. Nou ka monté kadansé. Ça résonne bien par là. Le son est plus ample. Ça swing bien. Santiman nou ka fè Nou maché.

Nous passons la Bibliothèque Schoelcher, la préfecture, le collège et glissons sur le Boulevard. Nous glissons sur lui. Nou ka désann kadansé lakwa mision. Nous passons le Marché de l’Asile, la Mairie, le Cimetière des Riches, arrivant en face de l’emplacement de la tête du Mahatma Gandhi. Elle n’a pas de présence dans le visible. Or à cet instant, elle est présente en moi. Elle est là dans l’invisible. Cela m’émerveille. Je sais où nous allons. Je n’oublie pas que l’envil porte les symboles de la colonisation, je n’oublie pas que les mornes portent la voix des symboles de la liberté, la voie de nos corps libres; celle qui nous amène à la vie.

Nous avons passé en une courbe tous ces symboles qui sont signifiants comme repères de notre histoire. Oui, il y a un monde symbolique qui s’ouvre à la compréhension poétique de celle-ci. Ce monde symbolique porte en lui, le fondal natal de notre intention. L’intention du Nèg Mawon. Car, c’est bien de cela dont il s’agit. Perpétuer et continuer ce mawonaj qui ne doit pas tomber dans l’oublie. C’est l’essence même de nos sens.

La symbolique historique du vidé en ce Mercredi des Cendres

C’est le fait d’un manifeste culturel. Brûler en nous ce qui nous assimile au dominateur. Cette assimilation qui nous éloigne de notre humanité et de son sentiment. Elle est incompatible avec notre négritude. Elle qui a désenchanté l’occident, le prédateur boiteux. Nous, nous marchons en corps ensemble un vidé qui trace. “Ba nou lè, nou ka pasé.”

Assis au pied de la Pelée, lorsque j’y pense c’est la paix. Je ne voudrais pas qu’un hurlement dans mon coeur réveille le volcan. La mer chante le bord et le soleil blanchit les nuages, ils passent sans pleuvoir. Le vent vient de derrière les hauts mornes, et j’ai l’impression d’entendre en lui, un, deux, trois siffleurs des montagnes. Sauf qu’un Merle me ramène à ma condition de l’instant, assis sous un mancenillier, je vis cet instant. Le Merle insiste, je me retourne pour le regarder et voir ce qu’il dit. C’est une vision atypique qui s’offre à moi. Une vision qui me rappelle comme il est potalan de discerner le réel de l’imagination spéculaire. Car, je le reconnais ce chant de merle. C’est celui de la parade nuptiale du Mâle.

Alors, je me retourne, je cherche le Merle dans le complexe de branches de l’arbre qui nous abrite, il n’y est pas. Ne te fie pas aux évidences! Me dis-je. Je baisse la tête, mon regard arrive au niveau de la voiture stationnée sur le bord de la route. Le Merle est là, accroché, comme il peut, au joint de la fenêtre de la voiture. Il s’accroche pour regarder le miroir. Et là, je comprends tout ce qui se passe. Le Merle regarde dans le rétroviseur, je comprends, il ne s’est pas reconnu. Alors, il gonfle son plumage et siffle son chant séducteur. Pour lui, le reflet qu’il voit n’est pas lui. Il prend ce reflet pour une femelle. Cette vision l’a mené à l’illusion de son intention. Voir là dans l’alentour la femelle. Le moindre reflet même flou, aurait attiré son attention. Qu’elle histoire!

Tout cela pour dire qu’il se peut que nous regardions un miroir. Et qu’il est potalan de discerner ce qui est de nous et ce qui est du reflet. Car, dans le reflet, il n’y a pas de véritable nous, il y a nos intentions.

C’est ainsi que regarder le carnaval avec discernement, pour aller au delà, pour voir ce que voit les avertis, les aguerris, les guéris, aller hors du conditionnement assimilationniste. Car le carnaval, il ne suffit pas de le regarder, il faut le vivre. Il ne suffit pas de le haïr, il faut l’aimer. C’est en lui que tout est possible. Alors maintenant, je cours le vidé historique… avec Tanbou Bokannal, pour vivre l’histoire avec ceux qui la vivent par nature.

Woy woy sa sa yé!

Tanbou Bokannal Chimen Libèté

Apiyé… nous sommes au bout de la Rive Gauche, la pénible traversée a pris fin, nous montons en pas kadansé sur le pont du Canal Levassor, il frémit. Juste après une toute petite descente, un silence s’installe nous passons non loin du Siège. Apiyé, nous passons un plat assez court, les instruments reprennent au fur et à mesure, des sons les plus tintés aux plus graves nous montons. Maintenant, nous montons, Apiyé! La kadans va bon train, il y a cette force qui prend corps. Et, la percussion des tanbou qui nous tient… Apiyé, tout devient plus solennel, au chant des couvres, il se passe quelque chose de céleste, il y a un défi en chacun qui prend sens dans ce monté Monn. Lui est placé entre Bokannal et le Lycée Schoelcher, enfin sa dépouille. Il y a un défi de tous, monter ensemble. Monté monn nou ka monté monn.

Apiyé, l’entrain prend du balan, et le morne accentue sa pente, il se fait virage, mi an sans jiratwa, pa dig, i ka pri, son, son, son… Apiyé, voilà la croix blanche, nou an tèt monn-lan. Alors que nous étions sur la tête du morne, un ar-en-ciel apparu. Oui, il y a une source, je la vois, dans les familles, les fratries, les bandes de cousins, kanmanrad, lé fwéw, lé systa, la fanmi, gran-moun, ti-sirè, ti-dousè. Tout moun ki moun la. Sa bèl. Apiyé…

Monter le morne porte la symbolique de l’évasion. L’évasion pour vivre. C’est fort. Le quartier pour vivre, le lycée pour survivre. Traverser pour chemin dans un entre deux, et toucher le morne pour comprendre la source. La décision est prise. I pâti pou la descente. Sé dé bagay ki ni: monté épi désann.

Mwen ka désann, bon tjè, bèl tjè, mwen kay wè Gran Manman mwen. Mi bénédiksyon sa mwen yé: an yich.

On monte pour trouver la source; et on redescend avec la source en nous… et vient le tour final. Ils brûlent Vaval. Et, nous vibrons la source autour de l’envil… la vibration remonte dans les quartiers, qu’ils entendent la voix de toutes les voix, nos familles seront libres, et nous serons libre. C’est le chemin.

Je remonte vers Crozanville.

Bo fè-a, bo fè-a, yo pété lonba vaval. Mon coeur battait vite… j’ai failli tout péter. Mes ancêtres ne sont pas des gaulois. Alors maintenant, mon coeur bat le sentiment d’humanité par la kadans; les ancêtres sont dans l’aller vers la liberté, ce que symbolise le vidé. Lui qui porte en nous notre mémoire vive. Pa kitéy mò.

Respectons ce mémorial vivant de nous-mêmes, de nos nations…

La récolte a commencé…

 

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Chronique du Carnaval – Épisode des Cendres –

 

*Avis d’obsèques de Vaval 2017:

Texte et voix: Jan Fwanswa Duleme

Ingénieur Son: Psyko

Production: RCI

Bokanté lanmou-a

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