Illustration article

“Sé an ond” pour mémoire

Illustration article

Écoutez la chanson ici :

Il y a maintenant vingt ans. Je me réveillais un matin de grandes-vacances sollicité par ma soeur pour lui donner un stop. Elle a un rendez-vous anvil avec son équipe de copines. Alors que nous sommes sur la route, une dépêche tombe à la radio interrompant tous les programmes. Le vol de la compagnie West Caribbean, ramenant des martiniquais revenant d’un séjour d’une semaine au Panama, se crache. À une centaine de kilomètres de Maracaibo, 152 martiniquais y font le grand passage. C’est une catastrophe inédite de mémoire d’homme. Voilà une trajectoire vécu à l’époque du crash de maracaibo.

Ma soeur et moi sommes abasourdis par cette nouvelle qui tombe, engendrant perplexité et effroi en nous. Nous ne réalisons pas encore l’ampleur de la catastrophe. Un silence s’installe dans la voiture. Je la dépose anvil, où elle rejoint ses amies. Ainsi, je reprends la route du retour vers la Jambette. Alors que je poursuis cette route du retour, je mets la radio pour en savoir plus. Et alors que des précisions tombent au fur et à mesure, l’animateur propose de prendre une pause. Cela en écoutant un peu de musique pour nous soulager de l’incroyable nouvelle. Et là, à ma grande stupéfaction commence la chanson « Titanic » interprétée par Céline Dion. Cette chanson finit par m’arracher quelques larmes, me rendant par là même chimérique. Tout en réalisant que je ne voyais pas quelle chanson de chez-nous conviendrait à de telles circonstances.

Là déjà, je prends conscience du caractère inédit de ce tragique évènement pour notre Peuple-Famille. Comme j’aimais à le représenter par cet arrangement sémantique. Ce peuple de l’île que nous formions. 

Arrivé chez ma mère, je me sens in-the-zone, là où tout va au ralenti. J’ai la sensation que beaucoup de choses bougent en moi, mais sans image, rien d’imagé ne se forme à mon esprit. Il y est un vide profond. Je finis par allumer la radio. Les informations continuent de tomber au compte-gouttes. La libre antenne est ouverte. Les gens appellent pour témoigner de leurs émotions, sentiments, questionnements. Déjà des débats germent ici et là. Des officiels, des citoyens, des religieux vont de leurs mots tenter d’apaiser la tristesse qui s’empare de notre conscience collective en l’instant présent. Tout est suspendu dans un état de stupéfaction collective. L’animateur alors nous informe d’un direct lancé à la télévision. 

Alors, j’entre et allume la télévision. Le direct est là depuis le studio de la chaine publique, en duplex avec le Hall de l’ancien Aérogare de l’aéroport. Les visages sont marqués de peine et de gravité, tentant de demeurer impassibles au prétexte du professionnalisme. Le Député Edmond-Mariette est là, sur les premières marches d’un grand escalier, un micro à la main et de l’autre une feuille avec sa liste. Quand de sa voix s’égrainent les noms des passagers du vol, ceux qui ont fait le grand passage. Des noms de famille me sont familiers, et même certains qui me parlent fortement comme des noms renvoyant à des visages et des souvenirs. Ce moment m’est très éprouvant. Dès lors, j’éteins la télévision, m’en retourne dans le jardin. La radio joue encore et ici et là, des témoignages plus précis, plus intimes, des condoléances, des pensées solidaires, des idées d’engagement. 

Des propos polémiques, eux aussi font leurs apparitions, issus des uns et des autres sur la façon de gérer l’évènement, sur la façon dont certains ont de vivre leurs émotions face à cet inédit.

Alors, j’éteins tout. Et dans le silence du quartier, j’essaie de digérer l’information, la catastrophe. Je suis seul. 152 êtres de nous, ce n’est pas rien, c’est énorme. 

Mon cahier est là. Alors, je l’ouvre et me mets à écrire de façon automatique. À la fin de l’écriture de ce texte, demeurant encore suspendu, je me rends compte qu’il s’agit d’une chanson, un air me vient, et je me la chante au secret de mon coeur. Je la chante encore et en corps, elle me fait du bien jusqu’à ce qu’enfin, je libère encore quelques larmes qui éructent puissamment de mes yeux, larim an nen-mwen. Mon coeur gros pour ceux qui perdent des parents, amis et alliés. En particulier, plusieurs familles endeuillées qui nous sont si proches que nous partageons ce deuil, nous projetant d’ores et déjà sur la disponibilité qu’il sera nécessaire de leur octroyer pour accompagner les vivants. 

Un frère du quartier, Judo, passe me voir. Nous sommes dans le jardin derrière chez la matè, nous en parlons émus. Quand je lui propose de lui lire mon texte tout chaud. Une lecture plus tard, je prends mon courage à deux mains, lui disant que c’est une chanson et la lui chante. Il est si ému qu’il me dit qu’il faut absolument trouver le moyen de la partager. 

S’en suit un temps de secrétariat, où par le téléphone fixe de ma mère, nous appelons tous les membres du groupe Phoenix Crew duquel je fais parti (avec Yann-Cédric Porlon au piano et au chant, Mahalat -Malou- Pain au chant, Danielle Théotiste alias Elmyel, Frédéric Billaud au saxophone, Dominique Telga à la basse, Tofa Ursulet à la guitare, Lauriane Vaillant à la guitare, Yannick Telga alias Chabyan à la batterie), pour partager avec eux la chanson et ainsi les mobiliser pour son enregistrement. Les choses n’étant pas celles qu’elles sont aujourd’hui, vingt ans après. Je vous laisse imaginer la croix et la bannière que fut le cheminement de réalisation de cette initiative de jeunesse à l’époque. Car, nous nous sommes plusieurs fois confrontés à des barrières liées à l’incompréhension de notre démarche par certains. Ainsi, nous y allons en raggamuffin, débwouya avec les moyens du bord. 

Trois jours plus tard, la chanson est enregistrée et gravée sur des CD-Rom et mis sous enveloppe.

Ainsi, nous nous rendons à toutes les radios qui nous sont accessibles au vu de l’essence disponible dans nos véhicules, pour leur remettre cette production spontanée pleine de débrouillardise et de solidarité, par amour pour notre Peuple-Famille, en espérant qu’elle va être diffusée, notre “chanson libre de droit” que nous souhaitons offrir pour notre soulagement collectif. Ce ne fut pas chose facile, je vous prie de bien vouloir nous croire. Car, elle est hors format, non déclarée à la SACEM, nous sommes encore inconnus. Le plus souvent les discussions commencent par ces quelques remarques que nous trouvons injustes, car elles précèdent souvent l’écoute de la chanson. Et c’est souvent après l’écoute de cette dernière que la chanson sera finalement diffusée. L’homme quelqu’il soit ne peut certainement faire abstraction de ses ressentis face à la musique qui le touche. 

D’où, je la partage vingt ans après au nom de cette mémoire collective. Sachez qu’à cette époque, nous reçûmes bien des enseignements lors de la réalisation de cette initiative de jeunesse. Quand la jeunesse veut s’impliquer dans la vie de la société, prenant à bras le corps une mission qui lui parait légitime dans l’innocence du développement de ses « armes miraculeuses », celles de sa génération qui n’apparait pas toujours pour ce qu’elle est aux aînés. Car, pour nous, nous avions un respect du caractère sacré de la musique et de sa mission de conscientisation et en ce cas de catharsis. En définitive, cela renforcera notre engagement dans le militantisme culturel qui était le nôtre, visant à faire de nos actes-artistiques des actes de solidarités, des voies de changement, de guérison et d’unification de notre Peuple-Famille. 

Nous réaffirmons alors par ce geste, notre solidarité et amour aux familles qui vivent encore cet évènement inédit. Lui qui trouve une place dans notre mémoire collective, pour ce qu’il est et la bienveillance envers nous-mêmes qu’il nous réclame. 

Fòs Lanmou 

Bokanté lanmou-a

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *