Article “An Tjè Lajòl-la” 

https://youtu.be/3Krhs2DH6i0

“An Tjè Lajòl-la” (Dédié à Sungey – Marvin – Kévin – Cédric – Yvan – Brad – Fabrice et tous les encadrants)

Programme de prévention à la radicalisation violente… 

Lakou ne dò’w pa « an tjè lajòl-la »… 

Voilà un moment que je ne m’étais pas rendu au centre pénitencier, lorsque l’opportunité de m’y rendre c’est à nouveau présentée. Ce fut à l’occasion de la mise en place du programme de prévention à la radicalisation violente, élaboré et mise en oeuvre par trois Dames d’un engagement inspiré. Ce groupe de Dames qui travaillent à l’accompagnement des détenus dans le cadre du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation). 

Vous dire comme j’en fus ravi, porté par cette symbolique du soin porté et entretenu par an lawonn madanm djòk, à des êtres blessés de leurs actes passés, de leurs conséquences, des jugements et de la condamnation à l’enfermement. Des êtres qui trouvent malgré tout l’opportunité d’une métamorphose. 

En tout état de cause, j’apprécie d’aller à la rencontre qui ouvrira à la relation en sincérité de dialogue. Ce milieu carcéral qui est un milieu intégré ; là où, malgré tout sévit un ensemble impressionnant de préjugés et de stéréotypes moraux.

Des représentations et des jugements , oui tout fait, de ceux qui agissent dans l’univers carcéral, où les jugés se font parfois juges populaires, nourris par la vindicte populaire. Cette dernière qui tend à se radicaliser dans des coeurs meurtris. Là où, an tjè lajòl-la, la radicalité rime avec posture de survivance dans cet univers qui quoi que l’on puisse penser, n’est pas sans foi ni loi. Bien au contraire, il est question d’une loi du plus fort à sentence immédiate, à tension continue. Là où, la brutalité est parfois l’alternative à l’incompréhension et aux freins d’expression. Un univers d’intimidation et d’intimité floue. 

Ceci dit, « ce n’est pas comme si que » le dialogue n’est pas possible.

Bien au contraire, lorsqu’il s’ouvre par la rencontre, la mise en relation qui le supporte, s’ouvre avec une sincérité planant d’une euphorie légère… Qui refuserait de parler à coeur ouvert, sans risqué d’être jugé ? 

Enfin bref, j’y vais avec bonheur en moi. « Le bonheur est l’héritage naturel de ceux dont les actions, les attitudes et les qualités sont pures et altruistes. Le bonheur de l’esprit est un état de paix naturel dans lequel il n’y a ni dépendance, ni bouleversement. Le pouvoir du bonheur permet de relativiser l’importance des situations. ».

C’est la définition de cette citation inscrite sur la carte que j’ai pioché dans la boîte de Fouzia. Cette éducatrice spécialisée qui montre la voix en corps de communiquer comme une voie possible. 

C’est à la fin du projet que cette carte se retrouve entre mes mains. Alors que nous sommes en train de redescendre. Cette carte qui recèle un état d’âme témoignant du senti et du ressenti du début à l’arrivée. 

C’est comme lorsque je tombe sur cette émission où, Françoise COTTA est en ITW sur son dernier livre. Je retiens alors cette citation d’elle qui dit : « Jamais je n’ai constaté l’absence d’humanité parmi eux qui étaient pourtant soupçonnés d’actes plus atroces les uns que les autres. » 

Chaque projet est un cheminement 

Ce premier jour, nous parlèrent autour de la notion de citoyenneté et de sa réalité historique et culturelle en Martinique. Un échange fort intéressant. En particulier, en considération des interrogations qui nous ont mené tout au long de cette conversation. 

Un temps d’attention réciproque qui permit de faire allègrement connaissance les uns les autres. De cela se dégage une recherche permanente et urgente de compréhension de l’autre. Comme s’ils cherchaient les clés de compréhension de leur déviance. D’où, leur grand intérêt pour le fait historique, sociologique et spirituelle, autant que pour certains personnages historiques de la Black history. 

La relation fut assez particulière et m’entraina au souvenir d’une citation de Michel Foucault qui disait en son temps : « Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? ». 

Le deuxième jour 

Ce deuxième jour, nous eurent pour thème de conversation la famille en Martinique. Ce dernier thème choisit au moment du débriefing avec l’équipe encadrante et agissante du projet. 

Encore un autre moment mémorable sur ce thème qui s’est révélé les intéresser au plus haut point. Jusqu’à faire s’effondrer une certaine pudeur. La conversation prit une tournure plus intime. Là où, le témoignage et les questionnements personnels se sont révélés comme moteur de notre échange sincère. 

En tant que yich, nonm tél moun, papa yich, ce fut l’occasion d’aborder les questions du lien intergénérationnel, de la relation de couple au coeur du foyer, de la fonction du père, du désir de l’être, de la condition de l’homme et celle de la femme dans la société martiniquaise. 

Un grand moment qui nous laissa suspendu à l’espoir de se revoir pour la sortie en milieu naturel. S’amorçait comme un rite de passage. Ce nouvelle état de conscience et de compréhension, levait inexorablement une confiance nouvelle, basée sur autre chose que les certitudes et les illusions de la rue. 

Flip Flap Asou an lòt Wotè

Cela me rappelant une conversation que j’ai eu avec « Jantiy », tel que je le surnomme, cet homme en situation d’errance à Fort de France. Nous échangions lorsqu’il me dit :

« Je connais la rue, je la vie dans ce qu’elle est de plus sombre. Car, lorsque tu y es, sans avoir de maison et de famille ; lorsque tu dois te battre jour après jour pour trouver à manger et à boire ; c’est là que tu connais la rue. Tu vois la méchanceté, la douleur, la colère, la voracité ailleurs qu’en toi, tu finis par voir tout ça se refléter en toi. Alors, moi, je prie et, je m’isole quand, tout cela veut s’emparer de moi. Ou ja sav mwen palé fè lajòl, ki an tèt oben dikos… » 

Il me vînt alors une citation d’Angela DAVIS dans son livre « La Prison est-elle obsolète ? ». Où, elle dit : « La prison jette une ombre menaçante sur notre société, à un degré inédit dans notre histoire ou celle de n’importe quelle démocratie individuelle. En absence de grands conflits armés, l’incarcération de masse constitue le programme social le plus assidûment appliqué par les gouvernements de notre époque. » 

Le jour de la sortie 

À mon réveil, j’imaginais le leur. Je m’imagine leur sentiment relatif à ce qu’il adviendra ce jour. Comment la vivent-t-ils cette promesse tenue ? Comment la vivent-t-ils cette destination atteinte ? Comment vivent-ils cette sortie éphémère ? 

Ce jour là, le temps était couvert. La journée s’annonçait et fut pluvieuse. Comme cela est de coutume pour certain d’y voir un jour de bénédiction, par cette pluie en saison karenm. 

Le bus s’arrêta à l’arrêt de bus, juste après les stations du Pont de Chaîne, direction Balata et la Route de la Trace. Je monte dans le bus. Je sens l’ambiance « nou ka monté lariviè-a ». « Entre les roches et les racines, un jour tu verras la source de la rivière… ». (« Monté La riviè » Kali) Comme nous verrons la source de notre joie, de notre bonheur, la source de notre sentiment d’humanité. 

Le trajet en bus fut formidable. 

Dans une élongation du temps et de l’espace, par la règle du plaisir partagé collectif et quelques échanges plus intimes. Là où, des rêves s’affirment au possible de ce temps d’en-dehors. Un inimaginable qui se réalise là au présent de notre présence, en chemin pour la rivière. 

Sous le patronage de l’adage « Tout moun sé moun », l’ambiance du bus est festive, des blagues fusent, joyeuses, des souvenirs apparaissent et se racontent. Des rêves et des confidences sur ce qui s’affirme des envies de sortie et de liberté. Une envie de le vivre avec ces nouveaux acquis, une motivation neuve, source d’une nouvelle confiance en soi, appuyée sur une conscience neuve de compréhension. 

Arrivés à destination, au lieu de la cascade, les deux kiosques, le bassin et les deux bras de rivières qui partent ensemble vers la mer, comme on part pour l’horizon, défier les grands fonds des mornes entaillés. 

À peine installé, une pluie se mit en poudreuse au départ, puis en fifin lapli, jusqu’à des cordes d’eau qui coulent en abondance sans jamais menacé de remplir les lieux. Ici, à ces hauteurs, les nuages passent comme des messagers. 

Tous ensembles sous un kiosque, les conversations allaient par petits groupes jusqu’à s’ouvrir au cercle de tous. S’engagea alors les témoignages des uns des autres, au style et façon des uns et des autres, en langage verbal et non verbal, dans le chant de la pluie et de la rivière, dans le chant de l’eau. 

« Fòk ou aprann kouté cri dlo-a

I ké toujou montré’w la pou kontinyé… » (« Monté La riviè » Kali)

Cependant, une accalmie permit au volontaire de se baigner. Les conversations se maintenant dans l’instant, le lien demeurait unitaire, le moment s’avérait des plus agréables. D’autant que la relation avec les visiteurs éphémères, touristes et/ou autochtones, fut à chaque fois emprunt de joie et de bienveillance. Quand politesse fait plaisir et que bonjour souhaite. 

Ensemble pour un repas hors-les-murs 

Le moment du repas vînt avec l’arrivé du traiteur et des plateaux repas. Ce fut mémorable de voir et sentir, cette plaisance à vivre-ensemble. Dans une fluidité et attention à la limite de l’affectif familial, s’est déroulée la distribution des repas et l’installation pour manger.

L’espace restreint du kiosque aurait pu être générateur de promiscuité. Or, c’est plutôt la bonne humeur qui s’y manifestait. Un climat propice à la proximité s’installa. Allant bien au-delà de l’espace, du temps et des principes partagés. 

Et à ce moment là, je pense à Gustave Jung… Sa pensée sur l’homme et son cheminement de vie m’apparait là, dans un temps de béatitude, face au tableau vivant qui se dessine, et dont je suis l’un des personnages visibles. 

J’entends en moi lorsque Jung dit en ces mots : 

« On ne peut voir la lumière sans l’ombre, 

On ne peut percevoir le silence sans le bruit, 

On ne peut atteindre la sagesse sans la folie. » 

Alors, je regarde l’ensemble de nous-ensembles. Et, résonne cette autre citation de Jung qui poursuit en disant : « Nul ne peut avoir de lien avec son prochain s’il ne l’a pas avec lui-même ». Et, je me sens bien de voir ce lien d’entre nous, qui raconte le lien de chacun avec lui-même. 

Avec un sourire libre sur le visage, accroupit au chevet de jeunes pousses d’ortie, dans un moment de solitude, un peu enfouis entre les arbres, me revient encore une parole de Jung qui dit : « Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. ». 

Le temps de la digestion s’ouvrit donc. 

L’après-midi s’était engagé et le rayonnement lumineux prit une autre intensité, plus chaleureuse. Le moment de l’atelier slam-pawòl-poésie était arrivé. L’objectif, l’écriture d’un texte poétique. Tout le monde y prit part en constituant un grand cercle des présents. Des bénéficiaires du programme aux encadrants et coordinateurs du dispositif, en passant par les intervenants extérieurs, allant jusqu’au chauffeur du bus, nous étions tous dans le cercle, en création d’une poésie collective. 

De mots en mots, de tour en tour, dans une dynamique d’écriture orale, non-loin d’une écriture-automatique collective, prenait forme un poème sur-réaliste de nous tous joints en une seule pawòl. 

Est né ainsi un poème qui vous est ici offert en partage : 

L’Amour… 

Extase mise en sensation 

Paroxysme de la plénitude vers le no-stress 

Déception aussi lourde qu’un cailloux dis-douz 

Satisfaction mène au septième Ciel 

Par l’enthousiasme d’une liberté conquise 

Ouverture fermeture 

Entre les deux 

Appel de la vie 

Naissance d’une nouvelle estime de soi 

Assurance et protection face à la perversion 

Conviction spontanée : la foi 

Amusement dérision 

Dépassement vers la tolérance 

Partage entraide 

Illustration d’une fraternité 

Quand le désir devient besoin vital 

Par la soif d’amour 

Aspiration respiration relaxation 

Jouissance libération de la puissance 

Désabuser n’est pas abuser 

Du désespoir à l’espoir pour la réussite 

S’installer dans la sérénité par confiance 

Pour devenir meilleur 

Mettons plus de paix dans nos cœurs 

Pour palier au dégoût 

Et briser les chaînes de la haine 

Sortant du sinistre et du triste 

Par envie de pénétration 

Savourer les profondeurs 

Sans être réservé 

En paix par la maîtrise de soi 

Sans être ironique 

Par la beauté maquillée 

Adjugé-vendu 

S’ouvrir au spirituel 

En pénétration de l’énergie divine 

Dieu 

Cela procure une sincérité 

Allant jusqu’au sourire 

Fermeture d’une arborescence 

Amenant à une fragilité sans être faiblesse 

Une bienveillance avec un esprit éclairé 

Comme un soleil 

Au réveil de la santé 

Laissons errer notre imagination 

Aux couleurs de l’arc-en-ciel 

Vers l’inspiration d’une Unité Arc-en-ciel 

L’oiseau rigole ! 

La route retour 

Voilà, c’est la route du retour de chacun à sa réalité, enrichi du jour et de l’expérience, redescendant avec la satisfaction de s’être sincèrement rencontré, comme un sentiment de retrouvaille au coeur de notre humanité. 

Assis à l’arrière du bus, l’un des bénéficiaires du programme, hume profondément l’air passant par sa fenêtre ouverte. Waw, je trouve ça beau. Et dans mon émerveillement qu’il remarque aussitôt, je lui demande « Qu’est-ce que tu fais là ? » Lorsqu’il me répond avec la légèreté d’un bonheur incommensurable : « Je respire l’air libre… » et voyant certainement l’interrogation inscrite doublement sur mon visage, il surenchérit : « Oui ! Tu sais dans la prison, il y a les barreau, le vent lui-même passe par ces barreaux, et lorsqu’il est entré, il devient l’air de la prison, l’air enfermé, l’enfermement. Alors, je profite pour respirer de l’air libre. Tu comprends ? » 

Je réponds alors dans le non-verbal que je comprends si bien, que je n’ai pas de mots pour le dire sur l’instant. 

Je le vis tout simplement 

de prendre conscience que oui. 

Même en prison, 

c’est de respirer l’air libre 

qu’il est possible d’aspirer 

en s’inspirant de l’air libre 

à respirer à l’air libre 

en ayant expiré sa peine

et libre comme l’air 

aimer à nouveau respirer… 

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Bokanté lanmou-a

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