Chronique du Carnaval – Épisode 3 –

“Nos ancêtres les gaulois…: pour un VAVAL”

L’énergie s’est emparée des lieux et des gens. Un dimanche gras de retrouvailles, où vaille que vaille, la joie est splendide. Car, elle est lointaine, un souvenir d’enfance, elle est actuelle, un maintenant détonnant et émerveillant. La Jwa di viv…

Le long du Canal Levassor, il est venu se faire poser la tête. C’est Dimanche Gras, Vaval an Laria. Nous nous croisons devant la Mairie. Mwen té fini désann di Monn Kawtjé-a, que les premiers étaient déjà là avec leur chaise. Les sédentaires du carnaval sont prêt. Je m’apprête à poursuivre mon chemin. Une pluie vient et rafraichit l’envil. C’est formidable. Tout est obidjoul.

Il est quinze heure et le brouhaha se lève.

Des pétarades de bradjak, des sonos hurlant des chants de carnaval, des discussions dans tous les coins, des groupes ton sur ton qui passent en souriant, chantant, vacillant et défigurés de joie. Technique irrémédiable, remonter à contre sens le circuit. Où est le groupe A? À chaque fois que sur mon chemin, je rencontre un groupe, mwen kadansé épi yo; et puis, mwen ka trasé chimen.

Tous ces groupes derrières Vaval, le Roi des Bwabwa, Roi du Carnaval, vont le vidé. Cette année le Roi renaît de ces cendres en Gaulois. Ce qui n’est pas sans rappeler une certaine actualité. Avec le débat autour de la colonisation qui semble être un élément phare de la campagne électorale à la Présidentielle. Ceci dit, nous n’y verrons que la manifestation d’une passion identitaire de la part de ces prétendants à la présidence.

Ainsi, alors qu’il est question de passion interpersonnelle en ce qui concerne la ritournelle “Mon coeur va vite… je vais tout péter”, Vaval soulève et élève le débat à la dimension de la totalité de nous-même; car, elle est aussi pour nous cette question de la passion-identitaire.

Car, à bien regarder Vaval, c’est intéressant de voir ce gaulois métisse aux seins nourrisseurs en canon d’obus et au visage chabinesque à lunettes, diront certains. Un blond de rien, y’a rien!

Il est question de la passion-identitaire du dominant que mime le dominé. Lui qui dans la résistance oppose une autre passion-identitaire. Celle qui est en réaction à celle du dominant, et se réclame d’elle pour exister. Car, si elle existe, c’est en lui étant consubstantielle.

J’ai rejoins le groupe A. Au niveau de Livio, je reste pour prendre le son du groupe. Les chansons malélivés vont bon train. Et, j’ai envie de crier: “Manman, c’est par l’absurde qu’ils t’honorent. Si l’absurde est permis en mathématique au coeur de la raison; en amour quand tout est confondu de passion. Que se passe-t-il?”

je quitte le groupe A, “mon coeur bât vite… je vais tout péter…”

Assis là maintenant pour le partage.

Assis là pour le partage, je regarde cette génération à-venir. Elle a Konnka les ruines du Fort sur la Savane. Et, du front de mer au parking, c’est eux dans leur microcosme. Ils jubilent la ville, là à cet instant où, leur liberté prend sens par leur niveau de perception. Comme leur nombre est étonnant. Si, j’en crois mon expérience, le groupe à cet âge, est le vecteur d’une confiance en soi, elle en construction par appropriation de ce nouveau corps qui passe la puberté, sera en fondement de la posture sociale à-venir de chacun.

Mwen la, en seconde technique, s’assoir et attendre le groupe Bokannal. Un jeune garçon vient me voir. Il a environ 14 ans. Une très grande taille dont il ne gère pas tout à fait la présence. Il a tout l’attirail du déguisement du Bad Boy. Il a l’air inquiet. Finalement, après m’avoir observé, il m’adresse la parole. Il paraît stressé.

“Bonjour, est-ce que je peux téléphoner?” Je suis un peu à l’ouest assis sur mon banc en train d’observer les mas passer. “Euh, bonjour, oui tu peux.” Là, il retire son sac à dos. Le pose sur ses jambes, l’ouvre et retire un téléphone. Ok, jusque là tout va bien. Il me regarde, je m’étonne avec scénique faciale. Il me dit: “je peux téléphoner?” Et là, je comprends. Et bien entendu avec cette déformation parental (pa pran sa mal kisa!): “Ahhh! Est-ce que je peux utiliser votre téléphone pour passer un appel s’il vous plait? Méwi pa de soucis.”

Il prend le téléphone que je lui tend. Il compose le numéro. Un moment passe. Hummm, je le sens bien nerveux. Quelques choses montent en lui. Il veut refaire le numéro. Ok, si ça peut le soulager. Il tombe sur la messagerie. “Allo, je suis là prêt de la crêperie”. Voilà le message qu’il laisse. Et, il dit en raccrochant: “Ah non, kouchal, bagay séwieu, mwen té pou rété épiy.” Il me demande s’il peut envoyer un sms. Oui, nou ja la. Et puis, je suis en empathie, compatissant. Je me rappelle à l’époque, sans smartphone, quand l’intéressée disparaissait dans la marée humaine des lieux. Il y avait ce sentiment ambigu d’avoir envie de la retrouver elle, mêlé de celui de retrouver les soldats pour un vidé sans manman.

Voici leur conversation sms:
Il dit: “Là je suis près des crêpes”
Elle répond: “woy je suis en face”
Il répond:”vas dans le truc de crêpes”
Elle répond: “je suis en face du truc de crêpe; viens près de l’herbe”
Là, je lui dis: “fanm-lan lé ou mâché anlèy fwèw”. Il me regarde dépité. Je lui dis “kisa ou lé?”, il me regarde d’un air de passionné. Son coeur battait vite. Et désormais, il pourrait tout péter. C’est un cas de passion-amoureuse.

Yo an laria ansanm pa grap, yen ki stay

Toujours à l’endroit des Ruines, remarque-t-on comme les déguisements sont formatés à l’offre de prêt-à-porter de pacotille. Seulement, chacune et chacun le portent à sa façon. C’est au final, une observation fort intéressante, puisqu’elle peut nous instruire sur le caractère profond de l’autre, lorsqu’on le regarde, en allant au delà des apparences, pour observer le mouvement de présence de l’autre. Et ainsi, percevoir l’autre dans sa capacité à prendre corps dans son déguisement et dans son personnage.

Tenez, au moment où j’y suis, sur la savane du côté des Ruines, deux jeunes garçons se heurtent. Vivement des coups s’échangent, et l’un d’eux se fait blesser à la tête. Une petite fissure à l’arcade. Le sang chaud allant à vive allure dans ses veines, son visage est tracé de trois grands fleuves. L’un et l’autre, réclament avec de grands gestes et des vociférations à peine compréhensibles, d’être lâchés par le reste du groupe, pour un tête à tête de coq combattant. Mais, alors qu’ils se rapprochent l’un de l’autre, il y a dans leurs yeux une forme de passion.

Au départ, il s’agissait d’une passion-identitaire pour la domination le combat du “ou sé ki moun?”. Et là, subitement, il s’agit d’une passion pour la joie et la liberté: la passion de vivre. Il ne doit pas être simple d’appartenir à des groupes aussi important en nombre et aussi solidaire en coup. Car, eux sont au centre, et pendant ce temps des balbutiements de combats à la périphérie apparaissent, noyautés par les partisans de l’un ou l’autre. Là, les deux acteurs principaux savent que tous attendent le “tin” pour que tout dégénère.

À partir de ce moment, c’est comme s’ils avaient passé un accord par une discussion fulgurente, par un langage non-verbal en sa forme intuitive. D’où, chacun fit son gwokoko, laissant la priorité de conclure le tjeubeul à celui qui s’est blessé. Sa natiwèl… Ah, je me demande combien de fois avec combien de variations cette histoire va être raconté par ceux qui y étaient et ceux qui recevront les témoignages.

Deux types d’initiation et à chaque fois la question d’une passion-identitaire qui laisse croire à la loi plus fort entre nous, plutôt qu’entrevoir la force de nous ensemble. Que ce soit ce jeune qui ne veut pas marcher sur “Lachou” gonflé de la fierté du jeune coq sans basse-cour; où, ses deux jeunes emportés dans leur badboyisme sans ghetto; la question demeure la même: celle de prendre corps dans la vie dans le corps-ensemble et le sien propre.

Toujours que tout à commencer pour moi la veille, samedi soir, lors de la manifestation Lawonn kiltirèl à Bokannal. Là où, le Groupe Voukoum invité par Tanbou Bokannal, a partager avec nous ensemble, la célébration du TANBOU. Tala ki ka sonnen… sé tala… Le fruit de la passion-créatrice des ancêtres. Lorsqu’ils ont recréé leur existence par le vivre; de cette présence vibratoire perpétuelle et continuelle, ils ont tout tenté pour rejouer la percussion du coeur.

“Mon coeur bât vite… Je vais tout péter.”; “mes ancêtres ne sont pas des gaulois…”

Voilà qui associant deux slogans du carnaval 2017, faisant l’illustration de cette passion-identitaire, dont il est question dans ce carnaval.

D’une part, il y a le dominant qui veut imposer ses ancêtres pour part fantasmé, comme ancêtres uniques et érigés en archétype. Soumettez-vous à une adoption volontaire au camp du plus fort, soyez nos reste-avec. D’autre part, il y a le dominé qui ne se refuse pas à l’énergie de ses émotions vives et impulsives. Il prend place dans la résistance et par la hargne dédaignent la création. Or, celle-ci convient d’édifier au quotidien de notre proximité, une œuvre collective. Ils n’en veulent pas. Veut-on alors libérer ou dominé à son tour?

Oui, aujourd’hui qu’en est-il de tout cela? Un homme passe forcément par la réaction à. Ceci dit, n’est-il pas naturel de penser et finir par croire, que l’être passe par la création au bout d’un moment. Est-ce que réagir suffit à vivre et exister?

La passion-identitaire se transmet plus souvent que rarement dans la forme et pas dans le fond. Nous sommes Martiniquais, oui, et qu’est-ce que cela implique? Car, la passion-identitaire est une forme. Et au fond que véhicule-t-elle?

En ce temps d’initiation et de passage, au sein de cette aventure humaine, cette question de la passion-identitaire qui cristallise les cellules qui constituent la totalité de notre ensemble. Elles sont en petits fragments hermétiques et au mouvement spasmodique.

Or, l’initiation nous permet de sentir l’ensemble et de ressentir le tanbou ancestral qui ouvre la voie de ce voyage initiatique dans le construit de notre identité. Celle de notre groupe humaine dans sa totalité. Un voyage initiatique qui va au delà de tant de groupuscule, qui va de la famille au groupe-tribu, le champ du possible de ce voyage dépendant de nos limites personnelles. Vivre un chemin initiatique comme un chemin d’individuation, pour faire de nous chaque, une unité autonome, indivisible, une totalité dans le global de nous-ensemble en corps-péyi.

Alors, se pose la question de savoir: cette passion-identitaire est plus la manifestation d’une limite que d’une ouverture?

En tout cas, je descends tout à l’heure dans l’envil pour aller assister au mariage burlesque. Là, j’en suis convaincu, je pourrai me régaler en ce qui concerne ma passion des identités. En particulier, celles qui se sont faites fertiles et fécondes dans la diversité. Universelles en particulier.

Vidé an pijama Lé zévèwglad-la èk vidé burlèsk-la poko kouché-mwen…

Nou ka wè an danmié-a a Sizè oswè…

 

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Bokanté lanmou-a

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