« La victoire nous sera acquise comme nous acquerrons notre sagesse tout au long de notre pèlerinage de patience. » Malik Duranty
« Convergence »
Préface de Malik Duranty
Le jazz est le fruit d’une africanité qui renaît d’où sont ses enfants raflés, éparpillés par l’histoire d’une course à la richesse matérielle de dites civilisations ayant entrepris par leurs dominants, une chosification du monde. Le jazz lui est d’une autre richesse, elle est immatérielle et essentielle, une recherche culturelle et cultuelle, le fruit d’une humanisation. D’où le jazz rime avec tradition rénovée, dans un environnement nouveau, des outils et instruments nouveaux, desquels renaissent des souvenirs rythmiques et mélodiques. Mêlés sont-ils par une harmonie nouvelle à des apports autres, issus de rencontres au coeur de l’oppression de la déshumanisation ; les humains se reconnaissent et échangent leurs formules cathartiques, ce que l’on dit être une créolisation qui ne biaise nullement l’apparition d’une négritude. Elle a la vocation de recréer le dialogue.
Alors à l’écoute de l’album de Jimmy Felvia, nous pouvons entendre un jazz caraïbéen qui nait du terreau de la musique traditionnelle martiniquaise. Le Ladja et le Bèlè qui par leurs rythmes, leurs signatures mélodiques et les ritournelles nous permettent d’identifier une origine à cette inspiration. De cela, je ne peux m’empêcher de repenser à cette citation de Chyco Jehelmann que l’on retrouve sur la pochette de son double album intitulé « NOUN » quand il dit : « La tradition, à mon sens, s’incarne singulièrement dans chacune de nos vies, quelque soit l’époque. » Car, c’est cela qui m’inspire à l’écoute de l’album « Convergence ».
Jimmy Felvia n’en est pas à son premier coup d’essai dans cette démarche. Celle d’être en quête d’un renouveau de la tradition à notre époque. Ceci dit, il est estimable que la maturité du pianiste affirme ses pistes et son appropriation de l’instrument. Ainsi, osons nous dire qu’il trouve ici un outils des plus adaptés à l’expression du nannan de sa musique traditionnelle.
En effet, le Tanbou Djouba dit Tanbou bèlè est un instrument rythmique qui dénote un certain potentiel mélodique. Au sens où par la technique de sa pratique, l’on observe la possibilité de jouer de ses différentes tonalités avec le jeu du talon et le doigté se rapprochant du jeu sur des tablas. Jimmy donne alors l’impression d’avoir transposé cela sur son piano, tout en se l’appropriant pour l’expression d’une contribution significative. Celle nous ouvrant à un merveilleux, comme est la vocation de la musique dans nos communautés. Le bèlè, le ladja, chouval bwa, musique des mornes et musique de rue sont autant de fondement à son inspiration pour cet album.
De même, sa maturité engendre autre chose. Il s’agit de la composition de son lakou. Ce cercle vertueux de proximité relationnelle qui certainement, dirige à la constitution du groupe qui l’accompagne, à la réalisation de cet album et cette promesse de rencontres. Ce qui est au coeur de l’intention de l’œuvre musicale dans notre culture, créer une « Convergence ». Et j’ose dire que cette musique est poétique, parlant de l’homme sauvé. En référence à Aimé Césaire qui estime la mission de la poésie comme celle de l’homme sauvé.
Son lakou se compose de Michel Alibo, un porteur de Sèbi à la lumière généreuse qui va éclairer Jimmy tout au long de ce passage. Thierry Jean-Pierre, maître du Groove qui fait un avec sa contre-basse. Tilo Bertholo son frère de la rivyè-pilòt, un coeur battant expressif enchanteur du langage rythmique. Alex Han, lui le virtuose qui n’échappa pas à l’oreille de Marcus Miller. Voilà une fine équipe intergénérationnelle. Cette dernière constituant un lakou propice à la transmission/appropriation dans la philosophie « Piti kouté gran ; gran kouté piti ». Ceci dit, tous ont la particularité d’un ankraj dans une culture fondamentale, leur donnant quiétude à l’ouverture au monde, à l’ouverture aux musiques du monde. Ainsi, les arrangements et leurs exécutions sont d’une virtuosité propre à celle de l’usage d’une langue maternelle.
Jimmy a eu l’occasion d’un cheminement initiatique au coeur battant du péyi. De retour en 2016 en son lieu natal, formé en tant que musicien pianiste, il décide de prendre son bâton de Pellerin mawon pour étudier le jeu du tanbou djouba et aussi porter son écoute à la parole des anciens. C’est riche de cette nourriture culturelle et spirituelle qu’il repartit en digestion en France hexagonale. Son but retrouver en lui et autour de lui un espace-temps où œuvrer en tant que créateur, auteur-compositieur.
Intéressons-nous maintenant à la poétique de l’album par une lecture des thèmes des titres proposés dans l’œuvre. Là au coeur des symboliques, que Jimmy nous offre avec cet album « Convergence ». Ce dernier s’inscrit dans la lignée d’une suite de grands pianistes martiniquais qui, depuis Marius Cultier, interrogent par la création, le potentiel percussif et mélodique de la caisse aux cordes et aux marteaux.
Là, dès l’ouverture de l’album avec l’intro, s’entend une cadence négrospiritual qui rappelle une démarche sous le poids d’une quelconque pénibilité à vivre. Et puis la cadence restant celle du corps marchant, l’esprit entraîne l’âme nègre dans le merveilleux environnemental. Cela par des mélodies qui s’agençent comme des polyrythmies lumineuses, comme des cauris placés sur des étoffes noires et rouges. La musique est douce et apaisante comme une présence en corps près du lit d’une rivière, assis près d’une touffe de bambous danseurs, swinguant le Groove Caraïbéen.
Le voyage est ouvert par cet appel à l’apaisement dans un conte en douceur. Ce qui nous entraîne dans « Lawonn ». Le deuxième titre. Là où tous les instruments parlent le bèlè mélodieusement ; et où la batterie joue le corps qui danse un ladjé kò, inspiré di an lapriyè kadansé di manman latè èk papa solèy mèt pyès an syèl. Lawonn ce concept métaphorique de notre ensemble, bèlè ka ouvè didan an kouri lawonn par une spirale qui nous dépasse et nous inclut dans une convergence céleste sur terre.
L’album poursuit l’aller-vers du voyage merveilleux vers le titre « Neverland ». Ce pays imaginaire qui nous renvoie encore à l’idée et au principe du conte. Lui qui ne fait pas fi du possible pragmatique des déplacements lors d’un voyage et de la chronologie du récit. Là nous sommes certainement dans le pays imaginaire laissé par Mickael Jackson, un ancien qui s’élève au rang d’ancêtre, plus il inspire les jeunes générations. Alors, Jimmy nous livre un titre fusion jazz où le martiniquais est le langage Ka musical. C’est certainement un titre qui parlera aux membres de Sixun, E.S.T et Bad Plus qui découvriront par cela la caribéanité. Dèyè sa, ce titre commence comme une balade et nous dévoile ce que porte le pays imaginaire, l’amour.
Avec le titre « LaPli a » il est une incursion dans l’universalité, par notre particularité qui parlera certainement à Avishaï Cohen, par la voix d’Alexandre Han. Ce qui procède à une véritable ouverture, celle de l’amour inconditionnel, le sentiment d’humanité. Il va ce titre par une rythmique au symbole d’une course de libération, par une libation du ciel et ses nuages. Lapli-a est une métaphore dans le monde créole, l’entremetteur d’un ti-chofé… ansanm andidan. Encore une fois le tanbou est dans tout et le soufflant fait l’eau qui coule de tous ses états, chantés par les facéties du piano qui coule sa mélodie fine.
Or, ne nous arrêtons pas en si bon chemin, poursuivons le voyage, il nous emmène au chevet d’un « Lotus ». Quel symbole ! Où chez nous lé zendyen en savent quelque chose, de l’élévation, la pureté et l’accomplissement personnel ; lotus, la fleur initiale du peuple kamit, a la symbolique forte de la naissance de l’astre divin ; lotus depuis le Delta de la terre-matrice jusqu’au lac de la terre-insulaire, mille terres célébrant Papa Solèy près de nous, quand le titre joue comme une comptine un air léger qui soulage de n’importe quelle torpeur. Le poème mélodique semble contenir mille mots inaudibles à celui qui écouterait, sans se laisser aller. Merci Jimmy, j’entends ta prière à notre humanité : « Lotus » qui éclos aux supplications d’un vonvon.
Après cette partie onirique, nous passons par le « Prélude pou an Bélya ». Un titre très émouvant qui nous emmène à faire le passage vers Bélya, dit encore lavibèl. Le titre se jouant comme une ouverture cérémonielle avant de nous lancer entier dans le titre suivant « Bélya Bélya ». Ce dernier qui est un titre phare de notre patrimoine musical, un grand bèlè, d’où je vois an Renn èk an Rwa remonter au tanbou, sous le commandement du tibwa à l’invisible. Une dualité fondamentale qui prie notre fertilité, l’humanité un grand jaden qui ne doit pas s’épuiser, mais se féconder pour l’éternité des lignées de Bélya Manmay-la. Les arrangements du titre éprouvent tous les aspects rythmiques du grand bèlè et ses sœurs jazzy de Louisiane à New-York depuis l’Harlem renaissance. C’est là que je repense à Miles Davis, me demandant ce qu’il demanderait à Marcus Miller après avoir entendu ça, pour aller au-delà de l’album « Amandla ». Voilà un titre constellation de mille lueurs d’ancêtres mawon « Bélya Bélya ». Là se retrouve la quintessence de l’expression de nos racines, du Roots à sa musique, clairement inscrite dans le Roots de la musique à la langue maternelle, créole, langue ka… jou i wè jou, sé bèl jou…
Ainsi, suite à l’interlude impromptue qui nous fait remarquer l’un des attributs techniques de Jimmy par sa faculté à l’usage de sa main gauche, nous entrons dans la dernière phase de l’album, dans une passe cosmique un peu psychédélique. Là où tout est lumière. Vient alors le titre « Octogone » qui est dans la rythmique, ce qui créé un polygone à huit côtés rythmiques en fulgurances dans le cercle, lawonn lavi. Je n’en dirai pas plus. Sa ki Sav Sav ; sa ki pa Sav pa Sav.
Quand après le coup de foudre d’ « Octogone », s’ouvre le titre « Lévé Bonè » où le tanbou djouba fait entendre sa voix dans un ladja d’une tendresse hors du commun. J’entrevois un visage avec une ravine de larmes à chaque œil, c’est un Jwa qui pleure au pipiri chantant une force tendre qu’il sent en lui avant l’arrivé de Papa Solèy, avant le feu sous le café et le solèy à l’ouest qui appelle l’éveil à l’art du « Lévé bonè ».
Alors ouvrez ce conte, cet album à la poétique du conteur descendant de la tradition des Griots et écoutez ce voyage aux mille mots inaudibles à ceux qui ne sont pas l’écoute.
Kouté pou tann ; tann pou viv-li ; ou ké konprann, sé viv ki ni.
Découvrez les deux premiers singles de son nouvel album