Lakou Anbòkayman – « ce que je sais ; je ne sais rien »

Lakou Anbòkayman

La lune est montante, ce jour est un jour de brume de sable à un indice poussé, pourtant une lumière crue inonde le ciel, blanchissant quelques nuages au passage. Tout vit autour et dedans, et un chien au lointain  cherche une conversation en jappant à qui l’entendra.

Gabriel est levé depuis un moment déjà, l’aurore l’a appelé, et il sait son besoin d’être à l’écoute, et oser le geste de ce que lui dit son intuition. Lui qui s’est rendu compte qu’il ne vit pas chez lui. Il y dort, y passe, y flâne. Or, il n’a jamais pris toute la mesure de son mode d’habiter ici. Il a alors fait comme bien d’autres, transformer son confinement en Anbòkayman.

Aminata, la voisine de Gabriel, a entrepris de lire bon nombre des livres qu’elle achète en temps normal, sans jamais avoir le temps de les lire. Elle s’y adonne dans un rythme pratiquement scolaire, alternant lecture à haute voix et lecture dans son coeur. Elle a adopté la pratique du semi-jeûne et celle de la méditation trois fois par jour. Sa fille Assaya, se découvre une passion pour un garçon qui refuse la domination de Tik Tok, il lui écrit plutôt des poèmes via whatsapp. Il y a maintenant deux mois qu’elle n’a eu de nouvelles de son père. Lui est parti en catastrophe en Guyane au chevet de sa mère. Jimmy, son ami du lycée qui vit dans le même quartier l’inquiétait ; car, il est toujours dehors à driver ici et là, se cherchant une monnaie à faire. Apparemment, sa mère ne l’autorise plus à rentrer à la maison, à cause de ce comportement.

Jean-Raymond, lui, s’est engagé auprès des instances d’une association du quartier pour aider les isolés et les vulnérables. Partage de denrées, de repas, visite de courtoisie, courses services, confection de masques lavables, il est sur tous les plans, tous les fronts. Et il le fait bien. Ce jeune retraité a besoin de se sentir utile. Son chien médòw, oui je vous assure, est aux anges, un chien créole hors pair, éduqué dans la gentillesse de son maître, ça ne s’invente pas. Et bien plus d’une personnes âgées, isolées du quartier, sont ravies de leurs visites de ces deux là.

Gwozòtèy, le mawon du quartier, ne peut pas être plus content. Voilà des années qu’il cultive la moindre dent creuse du quartier, qu’il soigne et prend soin de tous les pié-fwiyapen, qu’il entretient le lit des ravines du quartier, et qu’il entretient un lien de confiance avec des poules pondeuses qu’il a lui-même intégré en semi-liberté dans la quartier. Pour lui, tous les jours c’est Pâques, à la tradition de l’autre, à chercher les œufs pondus comme on chercherait les œufs au chocolat.

Marc, le pianiste du quartier est parti dans une exploration de l’œuvre de Marius Cultier. Cela ravit ces voisins qui pour certains, se permettent de l’enregistrer avec leur gsm pour le réécouter et partager avec les proches et makrèl kanmarad.

C’est le mois de Mai

C’est le mois de Mai qu’en dire ? Le mois des fêtes de libération. Et nous sommes là face à la débâcle des politiques tentant de programmer le déconfinement. Or, pour se faire nous avons besoin de connaître les caractéristiques du virus, besoin de stabiliser toutes hypothèses qui ont été émises le concernant et qui ont même fait l’objet de mesures de précaution. Tout parait trouble même les chiffres sont troubles, les discours sont troubles, les yeux des survivants aussi. La politique marketing de nos jours, ne convient pas à l’impérieuse nécessité de notre temps. Ouvrons nous au réel de l’instant présent et réalisons.

Marc et Gwozòtèy ont pris l’habitude de belles et grandes conversations lorsque le moment s’y prête. Des conversations de tous sujets qui peuvent s’avérer furtives et succinctes, où les extraire du Temps de tout pour un moment plein d’une exploration à deux… libres…

Ce jour-là, Gwozòtèy est venu interpellé Marc, à propos d’un constat qui se confirme. Oui, Gwozòtèy a remarqué que depuis le début du confinement, au moment où, Marc métamorphosa le sien en Anbòkayman pour le vivre bien, les poules ont migré et pondent désormais dans un rayon de x mettre autour de la maison de Marc, là où il est possible d’entendre la musique jouée par Marc. Comme si la musique a un effet positif sur les poules, et pas seulement…

D’autant qu’il est bien connu, lors des grosses chaleurs du karenm, les poules pondent moins. Ce qui n’est pas le cas des poules de Gwozòtèy. Les voisins, voisines dans leur intégralité en vinrent à se rendre compte de l’inclusion de cette musique dans leur quotidien. C’est quand certaines choses par leurs absences, se font remarquer et nous manque. C’est ce qui s’est passé au début du confinement, alors que Marc était allé faire des courses pour lui et sa mère. Le lendemain de cette sortie, c’est comme si Marc eut les symptômes du covid-19, enfin ceux décris dans un post whatsapp. Waw, il eut si peur que ce jour-là, il ne joua pas au piano… Tout le voisinage s’en rendit compte. Il y eut une foultitude de messages et d’appels pour prendre de ses nouvelles et lui réclamer la musique de son instrument outil de son inspiration, ou encore la diffusion de Confinement Sound System un instrument d’éducation du militant, disons de mawon de l’en-ville à la kanpann.

Justement c’est en écoutant l’une de ces sessions du CSS que Gwozòtèy passa devant chez Marc pour prendre de ses nouvelles. -Je ne sais même pas si Gwozòtèy a un portable?- Marc, quant à lui prenait l’air sur sa véranda, et laissait les murs se décontracter de la chaleur emmagasinée tout au long de cette journée chaude, lorsqu’il aperçut avec joie Gwozòtèy. Comme à son rituel, Gwozòtèy démarra son visage pour accoster son jeune ami. Ainsi, il l’interpella :

– Alòw gason, yo di mwen ou té an kaka kòk… mi zafè ! Ki sa ki rivéw ?

– Yélélé Tonton, sé pa sa ki pli rèd. Ou wè mwen té diw mwen té pou ay fè yann dé konmision pou la matè èk mwen menm. Sé pa ti zafè, sé viré-a ki tout.

– Mwen menm mwen ja palé baw, sa kouyon, mé mwen ka mandé kò-mwen koumanniè ou pé di ou ka achté an bagay pou manjé ouben an dòt, anba an limiè awtifisyèl. Mi dé bagay ! Pou mwen sé kon achté chat an sak ! Tjip !

– Sé pa bagay lafèt ! Kontèl lèw wè mwen viré bòkay mwen, an gran nwèsè pran mwen. Lé landèmen bonmaten, lèw wè jou lévé mwen, mwen pani tan fè ak, mal tèt anlè mwen, bouden mwen té ka kriyé anmwé. Sé pa ti zafè ki fèt o tronn. Papa mwen té pè sé pa bagay lafèt. Yo té ba an tès pou sav siw pri. Sété fè an gwan enspirasion èk tjenbéy jis kont ou konté a 10. Sé pa ti enspiwasyon mwen pran jou tala.

– Ah fout ou ni sik an tjouw sé pa bagay lafèt. Sé lèspri kò ki mèt kò, ou pa sav sa. Sèlman dé jou ou fè konsa ? Tout moun lan té ja entjèt. Nou pa tann piyano-a èk ki nony ankò ? Awi CSS…

– Sa ki pou fèt ka fèt saw lé fè. Mèsi bondjé sé pa sa ki fèt.

D’un silence

Un silence non gênant s’installa. Jean-Raymond passa dans la rue, traversant devant Gwozòtèy et Marc, il salua, le regard enjoué débordant de son masque afnor bòkay. Gwozòtèy l’interpella : « Yéléy Misié Janwé, ni dé bèl réjim tinen èk an bèl réjim makandja ki tonbé atè adan zayann-lan lòt koté larivyè-a. Mwen ja météy dèyè lokal-la, gadé wè jéwé sa boug-mwen. »

Gabriel vivait en face de chez Marc. Seule particularité c’est l’arrière de la maison qui donne sur la rue. La devanture de la maison est tournée sur un bout de terre en tremplin qui ouvre sur une vue sur les mornes suivant, avant l’horizon. Il est là à discuter avec Aminata. Tout deux, chacun chez soi, à la distance barrière l’un de l’autre, ils pleurent de rire. Aminata raconte les anecdotes d’Assaya et la continuité pédagogique, en particulier la classe virtuelle.

Entre les soucis de connexion, les pannes d’oreiller et le cours suivi sans autorisation à la caméra. Et bien oui, moun-lan fini lévé i poko menm lavé aban gadbouy. Assaya, elle même rit de bon coeur de ses facéties. Au fond d’elle, ça ne lui a pas fait de mal. Elle pense même avoir réalisé qu’il y a une certaine satisfaction dans le travail bien fait, dans la concentration sans tension et dans l’action volontaire.

Marc et Gwozòtèy ne pouvant percevoir ce qui se dit, alors expliquez moi ce qui entraîne l’apparition d’un rire fougueux pouffant de plaisir partagé chez les deux compères.

Au même moment dans la suspension, Jimmy passe en woulib sur sa dirt bike ozo. Il s’arrête au milieu de la route entre les trois maisons. Il manifeste en son attitude une forme d’euphorie, celle que porte un corps fatigué, au point de prendre un état d’âme anxieux. Il salue avec une certaine énergie. Elle qui s’élève comme le feu d’artifice d’un soulagement. Tous sont content de le voir. En particulier Assaya qui se rapproche du trottoir pour lui parler derrière les gestes barrières.

– Alors, comment vas-tu Jimmy ?

– Je suis là oklm, je descends chez la mater là. Je vais voir pour prendre mon sac. Sylvano m’a dit qui faut se connecter pour voir, y’a des info.

– Oui faut que tu le fasse… Tu pourras te connecter ?

– Je suis chez mon frère, enfin chez la manman de sa copine, izon le nèt. Je vais gérer ça. Sinon tu as des nouvelles des autres ? Lè la matè ma mi deyòw, sa pété mwen, alòw bon mwen pété dé twa bagay ka anni fèw chié, tjip kisa powtab-la pété adan. Tjip.

– Moi ça va, je fais la classe virtuelle. Alors oui, je vois les autres.

– Mové… Ahahah lachou an mòd laklas viwtjèl. Cho patat mwen sé laklas réyèl. Réyèl !

– Tu devrais essayer ?

– Mòli Assa, ki sa ka alè laa…

– Tu exagères

– Quoi ? En stage, j’aurais dû être là. J’avais déjà mon patron. Mé kisa, gadé pani ayen. Tout moun pè. Tjip. Mwen oblijé flèx.

Subitement, la musique du piano s’empara du lieu, tous les esprits présents s’y sont suspendus pour un moment de partage vibratoire. Gwozòtèy finissait de couper les cocos d’une grappe, dans les règles de l’art hygiénique et il servit chacun.

Alors que la mélodie s’envolait à la percussion du piano et celle des mains de Jimmy sur son bac, s’entendit la voix de Gabriel qui pawòl au rythme du coeur de Jimmy et du coeur de Marc, du cœur de tous les présents dans Lakou Anbòkayman :

« Ce que je sais ; Je ne sais rien »

https://youtu.be/4XgZPkbcB8k
Ma Patience ne m’entraîne pas dans la démence

Ma Discipline est mon atout face à la pandémie

Ma Fulgurante compréhension intuitive du monde en folie

Maladie maligne qui ne discrimine

Nous voilà en égalité de vulnérabilité

Face à une menace en mondialité

Qui nous réclame de nous voir humain

Tout bonnement humain

Je n’attendrais pas demain

Dès aujourd’hui je suis maître de mon destin

Mon courage irrémédiable

Rend mon coeur affable

De sentiments qui ne racontent pas de fables

Au cœur de notre force de résilience

Je suis du pays aux nègres-totems

Je sais ce qui de l’humanité malmène

Je l’ai en moi quand la peur prend le dessus

Sur le courage et me fait être déçu

Dans le fatalisme

A oublié de brûler les mauvaises attitudes

Celles qui nous viennent d’une za si milé

D’une assimilée imitation

Ce que je sais ?

Je ne sais rien

Ce que je sens

Je sens tout qui de la vie

Réclame notre changement

Notre métamorphose

En nous il y a l’inspiration

Qui rime avec rébellion

Un débattement secouant les chaînes virtuelles

Qui nous attachent à la peur

Or nos méditations actuelles

Devraient poser un regard sur ce qui

Nous incite à la division

Au matérialisme

À la modernité trou sans fond

Qui se défend de la régression de notre sociabilité

Elle crée une illusion

Dans nos ambitions

Qui ne craignent pas la compétition

L’invalidation d’autrui pour qu’en nous

En nous soit disant bâtisseur

Soit l’égo démolisseur

De relation entre frère et sœur

Alors je rêve

Solidarité qui naît au cœur

De la célébration de notre unité

Fraternité à celui qui s’accorde à notre filiation

À terre mère la divine qui

Qui ?

Pour qui nous sommes en quête

D’harmonie en toute chose

Comme la simplicité musicale

Qui touche en nous l’être phénoménal

Ce que je sais ?

Je ne sais rien

Ce que je sens

Je sens tout qui de la vie

Réclame notre changement

Notre métamorphose

Sortir du capitalisme

De l’idéalisme fou du néolibéralisme

L’idéologie du mensonge

Pour

Toucher à la dimension humaine

Dans le lakou kiltirèl

Ouvè tjè san dévenn

Riskwèl

Lavi bèl

An ritounèl

Alé dan van simen priyè

Isi la toupatou pou lanmou

Pour lanmou #rétébòkayou

Super Lune…

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